J’ai toujours été fascinée par l’être humain : qui suis-je, pourquoi suis-je là ? Et les autres ? Pourquoi suis-je moi et les autres sont-elles et ils autres ? Pourquoi les relations peuvent-elles être si compliquées alors qu’elles nous sont nécessaires ? Pourquoi les épreuves, la maladie, la mort ?

J’ai cherché des réponses dans la numérologie, l’ennéagramme, les gestes vérités, les profils types, l’astrologie, le livre tibétain de la vie et la mort et pleins d’autres ouvrages. Je passais des heures à lire tous ces bouquins cherchant la clef à tout ce mystère de l’incarnation, du but de la vie.

Je passais également beaucoup de temps à dessiner. Au temps de ma Terminale, je découvre le dessin de nu à la Grande Chaumière à Paris. Je continue alors d’explorer l’autre par son corps tout entier, éblouie de cette richesse plastique qu’est le corps, qu’est l’autre. Le dessin du corps est très complet par ses formes et ses articulations : sa pose et le point de vue sont d’une telle richesse pour le regard et la main qui le dessine. J’ai un coup de coeur pour les pauses courtes qui obligent une spontanéité du geste et un regard affûté. Elles obligent à aller à l’essentielle : exprimer avec peu, laissant une part de mystère et de libre interprétation dans l’inachevé.

En parallèle de ses séances à la Grande Chaumière où je suis livrée à moi-même, mon professeur d’Arts Plastiques de l’époque, l’artiste Jean-Louis Raguenel, me fait expérimenter, dans la conception, l’abstrait. C’est ce double déclics de la rencontre du nu et de l’abstraction qui me pousse à m’inscrire à la prépa d’Art de LISAA d’abord, puis aux Beaux-Arts de Cherbourg qui a été une année mémorable par la qualité de l’enseignement - Claude Audouard notamment, grand pédagogue qui m’a beaucoup impacté -, et enfin de Dijon, dont je suis diplômée.

L’école est un laboratoire pour moi. Je dois tout essayer, apprendre un maximum, il n’y a pas de limite : photographie argentique et développement en chambre noire, textes, maquettes, peintures, peinture sur un mur et association d’objets, vidéo et montage de l’image et du son, la sculpture, le modelage de têtes en terre dont je sors une série de photos.

J’ai une prédilection pour :

- les grands formats en peinture, en abstraction, qui me permettent une grande liberté de geste et d'exploration,

- la photo pour la lumière et le cadre qui mettent en valeur l'objet de l'attention,

- les textes abstraits pour la mise en valeur de la lettre, du son, qui sont propres à chaque culture.

De cette soif d’apprendre, je pars en Argentine faire ma 4ème année en musique électronique à la UNTREF, et pour le Tango, découvert lors de mon année à Cherbourg, qui a été un déclic sur mes questions de notre identité et de notre manière d’être en relation. Avec cette danse, j’ai accès à moi et à l’autre, ou l’autre me donne un accès de moi-même dont je n’avais pas accès jusqu’à alors, par l’énergie profonde qui nous meut soi et nous, ensemble. Le mental n’y a pas de place, c’est époustouflant.

De retour d’Argentine, un autre thème me préoccupe alors, qui rejoint mes questions initiales sur l’identité et l’impact de nos relations sur nous : comment, avec autant de confort technologique et technique, vivons-nous si mal ? Pourquoi la faim, le froid, s’obliger à vivre au même rythme peu importe la saison, le besoin de cloisonner, d’enfermer, d’exploiter, la peur de manquer.... La dépression, le suicide, la maladie....

Mes années d’étude m'ont permis d’ancrer une façon de travailler : par série, depuis des photos que je garde telles quelles, ou bien en les prenant comme support de production de peintures et dessins. En fonctionnant par série, un détachement se produit à force de répétition, une liberté de geste et d’expression me submerge. Je me « lâche », laissant partir mon geste, mon corps, qui sait le motif, et mes yeux pour accompagner et guider dans un soucis de rendu esthétique. Je me délègue à mon corps.

Mon courant fétiche est l’expressionnisme abstrait mais mes sources d’inspiration conscientes et inconscientes sont bien plus vastes.